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Déjà vu ?

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Déjà vu ? L’art de la copie de Dürer à YouTube

Kunsthalle de Karlsruhe 21 avril-5 août 2012

Alors que le monde académique d’aujourd’hui n’a que méfiance ou aversion pour le « copier / coller », la Kunsthalle de Karlsruhe a présenté jusqu’au début du mois d’août une exposition où la copie se faisait la part belle. Des centaines d’œuvres venues de musées d’Europe et des Etats-Unis, offraient l’occasion unique d’observer d’un œil nouveau ce phénomène. Sous des formes parfois inattendues, en traversant sept siècles d’histoire, le cheminement de l’exposition avait l’ambition d’expliciter les fonctions remplies par ces copies ainsi que les raisons qui les motivaient. Malheureusement le magnifique catalogue n’a été publié qu’en langue allemande. Voilà quelques souvenirs visuels d’une captivante visite.

Les premières salles rappelaient le temps où l’image était un bien commun : copier une œuvre pour la transporter avec soi, la faire connaître ou faire connaître son créateur, apprendre à travailler comme les maîtres ou de se former en reproduisant une technique était habituel. Etrange et saisissant de voir côte à côte une descente de croix peinte par le Maître de Strasbourg à côté de celle du Maître de la Passion Karlsruhe, toutes deux du 15e siècle, proches mais différentes. Un regard un peu plus poignant, la précision de certains matériaux ou le signe du propriétaire qui change1, seule une expertise permet de savoir laquelle a été peinte la première.

Un peu plus loin, le visiteur pouvait s’étonner de voir trois versions d’une scène hivernale avec l’impression de les avoir déjà « trop » vue, et pourtant… Reprises de Bruegel l’Ancien (1664), toutes été peintes dans l’atelier de Pieter Bruegel le Jeune. Chacune a sa différence, un détail que l’on recherche comme dans le jeu des sept erreurs : la forme du radeau de l’enfant sur la rivière, l’expression d’un visage, un objet qui a disparu. La scène a été reproduite en véritable série bien avant les couvercles de boîtes de chocolat qui s’offrent à Noël… Une douzaine d’exemplaires de l’adoration des mages a ainsi été recensée à travers le monde dont la signature ne correspond pas nécessairement au créateur de l’œuvre. Bruegel le Jeune l’utilisait comme une enseigne, garante d’une qualité constante. Le procédé permettait de satisfaire la demande – qui était importante – et les copies pouvaient atteindre des prix élevés. En effet – on l’oublie trop souvent et pourtant c’est aussi ce qu’on attend encore aujourd’hui des copies numériques -, faire copier  un tableau était, le meilleur moyen d’avoir près de soi une œuvre convoitée mais dont l’original était inaccessible, pour des raisons financières ou pratiques.

 L’adoration des mages ici mise en puzzle de 500 pièces

Un vaste espace était consacré à Albrecht Dürer, un des premiers artistes qui ait témoigné de l’importance qu’il portait à l’originalité de son œuvre et des bénéfices qu’il pouvait en tirer. Sur les panneaux de présentation, les commissaires de l’exposition supposent qu’après un procès pour réclamer ses droits, Dürer avait fait directement la demande à Marcantonio Raimondi2 de reproduire sa « Vie de Marie » pour une diffusion en Italie avec son monogramme.  L’affaire est embrouillée car il y reste peu de traces des échanges mais elle est passionnante car elle éclaire l’histoire des questions de droit d’auteur en Europe. Lionel Maurel vient tout juste d’écrire sur Owni un billet qui s’appuie sur cet épisode pour illustrer l’importance de la citation dans la rediffusion d’images sous le titre « Et si Albrecht Dürer avait eu un TUMBLR ? ». L’occasion de mieux comprendre l’importance des monogrammes du maître copié et recopié. L’exposition montrait en exemple plusieurs exemplaires du « Jeune couple et la mort » : au début du 16e, les gravures portaient d’autres monogrammes que celles du véritable créateur, puis, lorsque  l’œuvre de Dürer est devenue renommée et s’est internationalisée, sa signature a été de nouveau imprimée car elle augmentait la valeur commerciale de la gravure3. Plus tard, Rubens va choisir d’employer ses propres graveurs pour bénéficier de l’exclusivité de ses oeuvres et les protéger de la contrefaçon.

Les gravures apparaissent comme les œuvres qui auront été les plus diffusées et reproduites à grande échelle. Une salle entière leur était consacrée et l’accent mis sur le moment où l’habitude se prend, à la fin du 16ème siècle, de citer, pour chaque pièce, le créateur, le graveur et l’éditeur4.

Pour illustrer par des exemples la question de la « copie créative » avec plus de force, l’exposition donnait à voir des œuvres de peintres connus habituellement par leur originalité. Ainsi, Matisse, a repris La desserte de Heems ou Van Gogh, la Pietà de Delacroix5. Mais déjà Delacroix lui-même, Géricault ou Fantin la Tour, eux aussi, copiaient les maîtres ; Titien a été l’un des plus repris, avec en particuler La mise au tombeau. Goya, qui lui même avait copié Las Meninas de Velasquez, fait aussi parti des peintres qui ont souvent été copiés. La reprise, extraite de ses caprichos,  d’El sueno de la razon produce monstruos par l’artiste londonien d’origine nigériane, Yinka Shonibare, qui décline le dormeur, est particulièrement troublante.

El sueno de la razon produce monstruos / Goya

L’ingéniosité des dispositifs dans les salles des oeuvres contemporaines faisait partie de l’intérêt de la viste : tablettes, installations, capteurs qui permettaient de prendre en considération la nouvelle diffusion artistique par le numérique ; Google EarthFlickr et Youtube étant les trois plateformes mises en avant. Les oeuvres choisies pour la période contemporaine étaient également très marquantes mais difficile d’afficher ici les oeuvres, sans les autorisations des artistes.  Même si vous ne comprenez pas l’allemand, n’hésitez pas à visioner ce film qui présente l’équipe qui a réalisé l’exposition. Il vous permettra de visualiser de nombreuses oeuvres exposées et de comprendre comment a été conçue cette exposition réalisée en coopération avec l’Université de Karlsruhe et la Staatliche Hochshule für Gestaltung.

Cette exposition n’était pas seulement belle, inattendue et instructive, elle était souvent drôle. Elle se terminait avec clin d’oeil sur une oeuvre exposée accompagnée des tribulations de sa reproduction : la photographie d’une fleur, imprimée puis photocopiée, puis peinte puis passée au scanner puis ronéotypée puis à nouveau photographiée pour être de nouveau numérisée, imprimée, photocopiée, et accrochée aux cimaises du musée…

Crédits photographiques :

- L’affiche  de l’exposition présentée en tête du billet est une reprise par Aneta Grzeszykowska d’une image de Cindy Sherman, prise de Untitled Film Still #22.

- Cycle de la Passion : Le Christ Kreuzannagelung, Maître de la Passion de Karlsruhe (Hans Hirtz?), Strasbourg 1450/55, domaine public

- Bruegel, Adoration des mages, domaine public, ici repris dans un puzzle de 500 pièces de la marque Michèle Wilson.

- Jeune couple menacé par la Mort Albrecht Dürer v. 1498 19,9 x 12,4 cm; image: 19,6 x 12,1 cm gravure au burin sur papier vergé Ici, gravure acquise en 1956 Musée des beaux-arts du Canada (nº 6817), domaine public

- [Los caprichos]. P. 43, El sueno de la razon produce monstruos : [estampe] / Goya, Francisco de (1746-1828). Graveur, 1799-1937 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b84518119

- Film de présentation de l’exposition “Déjà vu” de la Kunsthalle de Karlsruhe, form-art.tv, 2012 : http://www.hfg-karlsruhe.de/features/deja-vu-die-kunst-der-wiederholung.html

  1. Le tableau a d’abord été créé à Strasbourg puis copié sans la figure du donateur, une femme insérée dans le coin inférieur droit. Son emblème a, tout de même, été conservé sur la copie
  2. Marcantonio Raimondi (vers 1480 – vers 1534) est un graveur italien réputé pour ne reproduire que des œuvres d’artistes sans créer les siennes en propre
  3. Voir aussi, sur L’Alsace du 29 juin 2012, une autre illustration de l’exposition sur cette période avec Le Chevalier, la Mort et le Diable, gravé par Albrecht Dürer en 1513 et mise en regard avec la peinture de Johann Geminger vers 1600
  4. Voir à 4min 50s du film de présentation de l’exposition.
  5. Des illustrations de la Pietà par Delacroix reprise par Van Gogh sont visibles sur le billet d’Elisabeth Itti, chroniqueuse sur le blog Une dilettante, qui présente l’exposition avec des images diffusées avec l’autorisation gracieuse de la Kunsthalle de Karlsruhe

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